La génération des peintres nés entre 1880 et 1900, à laquelle appartient Albert Bergevin, a connu, s’est construite au coeur d’une époque de grande effervescence dans le domaine des arts plastiques. Dans son introduction au catalogue de l’exposition pionnière que fut Les sources du XXe siècle , Jean Cassou met remarquablement en perspective ce mouvement quasi organique et contradictoire où s’intriquent peinture, littérature, philosophie, musique qui accouchent de toute ces nouvelles tendances. Cette période va donner lieu à l’avènement de l’art moderne. Ce bouillonnement, qui excède de loin le simple cadre national, résulte des profondes mutations qui parcourent la civilisation européenne, industrialisation, progrès techniques, multiplication des échanges qui modifient les conditions sociales et morales.
L’art de Bergevin s’inscrit dans ce contexte, il est indubitablement moderne mais n’est pas à la pointe de la modernité. Il a intégré les leçons des premières tendances modernistes, de la fin du XIXème siècle, mais demeure attaché au réel comme à une certaine forme de tradition, conscient que toute grande œuvre d’art est le fruit d’éléments « avancés » et d’éléments « retardataires ». Il demeurera dans cette voie du juste milieu, du « bon sens » que suivront la grande majorité de ses confrères et qui fera florès dans les salons comme auprès des collectionneurs, des critiques d’art et des institutions. Nous pouvons schématiquement l’associer au mouvement artistique que l’historiographie regroupe aujourd’hui communément sous le vocable de Jeune peinture française. Ce groupe informel et hétérogène, qui se forma au sortir de la Grande Guerre, se caractérise sommairement par le rejet de la tradition académique et le goût pour une modernité sans avant-gardes, perçues comme de simples spéculations formelles. Il associe de jeunes peintres comme Boussingault, Derain, Dunoyer de Segonzac, Jean Marchand, Luc-Albert Moreau, Edmond kayser ou encore Waroquier à d’autres artistes confirmés tel Bonnard, Maurice Denis, Matisse ou Vuillard. Ce mouvement incarne pour le critique Claude Roger-Marx une certaine « mesure française ». Ils élaborent un réalisme renouvelé, un néo-réalisme et affirment un certain sensualisme, un goût du lyrisme. Il n’est pas ici question, de « retour à l’ordre », la plupart de ces peintres, même les plus jeunes, s’inscrivaient dès avant-guerre dans un réalisme construit, instruits des leçons du cubisme comme des rugissements fauves, de Cézanne et de l’influent et sous-estimé Sérusier mais regardant aussi Corot, Courbet ou Delacroix comme Gauguin, Manet ou Seurat. |